Stare like a poem
Chaque éruption volcanique ramène à la surface de la terre une roche nouvelle qui, une fois assimilée, se transforme en sols fertiles capables d’insuffler la vie. Lorsque Brandon Opalka débarque à LHOSTE en résidence, c’est un peu comme si nous nous préparions à accueillir l’éruption imminente d’un volcan. L’excitation se mêle à une forme d’appréhension. La puissance créatrice d’Opalka est sans limite. Il parvient à créer de l’harmonie dans le chaos. La vie, et tout ce qu’elle implique de merveilleux et tumultueux, grouille dans son œuvre.
L’artiste exprime son art de manière brute avec toujours une forte présence de la main dans l’accomplissement de son travail. Il jongle avec les techniques et les matières : peinture à l’huile ou acrylique, bombe de peinture aérosol, compresseur à air, chalumeau dont les flammes font fondre de la cire de bougie en aplat de coulures. Récemment, Brandon Opalka a ajouté la laine à son large éventail de matériaux. Choix étonnant et connoté pour cet artiste dont le graffiti est la première forme d’expression et la rue son atelier de prédilection. La laine vient par-dessus une toile déjà travaillée à la bombe, à l’aérographe ou au pinceau. Il n’y a rien de maniéré dans ce geste. La maîtrise de la ligne et de la couleur permet une grande vitesse d’exécution. L’artiste traite ce nouveau matériau comme de la peinture en mouvement. Les brins de laine donnent l’impression d’une couleur ruisselante, avec un effet vibratoire au relief subtile.
Stare like a poem est une citation du roman The Overstory (l’Arbre-monde) de l’écrivain américain Richard Powers. L’histoire dépeint le parcours de neuf personnages dont les destins se lient autour d’un combat commun pour lutter contre la destruction des forêts. Regarder le monde à travers les yeux du poète est né d’expériences personnelles de l’artiste lors de randonnés solitaires en montagne ou en forêt. Opalka s’attarde alors sur le contraste sonore entre le moment de l’effort où la respiration prend toute la place, et celui du repos où le temps devient comme suspendu. Peu à peu s’installe une puissante synesthésie de la nature sur le peintre : « l’odeur de la nature crée un goût terreux dans ma bouche, tous mes sens sont alors consumés par la création ». Ce lien très fort à la nature n’est pas récent chez Brandon Opalka. En 2009, Nature is imagination itself (d’après une œuvre de Willliam Blake) était déjà le titre d’un mural gigantesque de 40 mètres de long en hommage au plus grand séquoia du monde.
L’installation de verre dépoli au sol, The Fragility of Strength, renvoie à une plage qu’a connu l’artiste en Californie : Glass Beach. À la fin des années 40, et pendant presque 20 ans, les habitants des villes alentours ont déversé leurs déchets à même la mer. Au fil des ans, l’océan a transformé cette poubelle humaine en une incroyable beauté : une plage de verres polis multicolores. À une échelle plus personnelle, Opalka a toujours eu un attrait particulier pour les bouteilles. Réceptacles de fleurs ou d’esprits. Vases et bouteilles sont pour Opalka des vaisseaux (vessels). Ils contiennent autant de souvenirs que de propositions vers des voyages amnésiques. Souvent fragiles, ils doivent être protégés pour maintenir ou faire grandir ce qu’ils contiennent. Déjà en 2014, l’artiste trempait ses bouteilles de bières vides dans des seaux de peintures, les assemblait et les disposait sous forme d’installations ou de chandeliers hybrides. Avec The Fragility of Strength, Brandon Opalka invite le spectateur à marcher sur des restes de bouteilles de verres, cassés et polis par ses soins. Révélant les nombreuses contradictions humaines, il plonge d’emblée le visiteur dans un univers, à l’image de notre monde, d’une beauté fascinante, d’une grande puissance mais extrêmement vulnérable.